Le document commenté est un questionnaire publié par G. Mémeteau en vue d’informer les différents juristes voulant collaborer avec lui pour la mise en étude de l’influence du Droit civil français sur le Droit québécois en matière de responsabilité médicale. Vue que trois régimes juridiques ont une certaine influence: Le Droit civil français, le Droit civil québécois et la Common law. L’auteur se demande quel est le degré d’influence du Droit civil français. Aurait-il une position privilégiée? Ou il ne serait qu’une source parmi d’autres sources? L’on a remarqué tout d’abord que le code civil québécois serait une copie du code civil français. Mais de récents arrêts conduisent à réfléchir plus profondément sur cette influence puisque ceux-ci se distinguent par une certaine autonomie envers le code civil français.

La vision globale du droit médical au Québec est-elle la même qu’en France? L’on s’égare certainement en pensant qu’en Droit québécois, le droit médical subit une approche restrictive et n’est regardée qu’à travers le prisme de la responsabilité civile. Les institutions médicales et médicosociales profitent d’études autonomes et approfondies échappant à cette déformation, et de nombreuses études doctrinales examinent des phénomènes de santé sans les réduire à l’analyse de la responsabilité professionnelle.

La lecture de la jurisprudence et des tentatives d’interprétation fait deviner þà peu près que le droit québécois de la responsabilité médical a pris du champ par rapport au droit français dans deux directions , pouvant être celle de licéité de certaines interventions et celle de la réflexions doctrinales.

 

I – Le fondement de la responsabilité médicale:

 

Le droit français de la responsabilité médicale et hospitalière relève de deux ordres, civil et administratif (avec dualité de juridictions compétentes), selon que l'acte a été réalisé en cabinet urbain ou clinique privée d'une part, en milieu hospitalier public d'autre part. On a récemment proposé une unification des contentieux, à l'image de ce qu'a édicté l'article L. 209.22 du Code de la santé publique, mais cette réforme, qui heurterait trop fortement les principes fondamentaux de l’organisation juridictionnelle, ne paraît pas rapidement réalisable. Cette dualité peut étonner le lecteur québécois, l'induire en confusion sur l'usage et la portée des arrêts, soit de la Cour de cassation, soit du Conseil d'Etat. Le système local de dispensation des soins, et celui de l'organisation juridictionnelle n'imposent pas ce passage d'un régime de droit à un autre, d'un tribunal à un autre. Ceci contribue grandement à prendre pour seul axe du droit de la responsabilité médico-hospitalière le contrat. Il est vrai que s'est développé un débat sur le lien entre le malade et l'hôpital, donc la nature de la responsabilité de celui-ci, exclusif de la recherche de la qualité d'usager du service public au sens où nous l'entendons ici. La Cour suprême n'a point estimé nécessaire de le trancher, mais il présente au moins le mérite de permettre à MM. Lajoie, Molinari et Baudouin de montrer l'insuffisance d'une analyse du droit médical surtout “à travers le prisme” de la responsabilité civile, ce qui est en lien avec la judiciarisation de ce droit (la responsabilité que l'on veut sanctionner contre la responsabilité que l'on veut éviter).

En responsabilité médicale, le point de départ était le contrat médical. Le fondement de la responsabilité civile est encore celui du droit français, et ce rapprochement est solide. Un contrat se forme par le consentement; encore faut-il préciser duquel il s'agit, celui à la conclusion de la convention, la formation du lien de droit entre les parties. Ensuite, intervient une autre manifestation de volonté, celle du médecin de proposer, celle du malade d'accepter ou de refuser les actes médicaux, ce qui est question d'exécution ou bien de résiliation du contrat déjà conclu. On a récemment voulu revenir sur cette claire distinction entre les deux accords (consentement au contrat/assentiment aux soins), et imaginer, la théorie de multiples contrats, ponctuels par leur objet, entre le patient et le thérapeute. Ce retour sur des analyses dépassées est subtil sans doute; il est artificiel et méconnaît l'objet de l'obligation du praticien, “donner des soins”, ce qui répond à la demande du sujet, dont le contenu est “guérir une maladie”, le tout par l'apport de prestations appropriées. L'assentiment devra être éclairé, plus encore que le consentement au contrat (bien que des insuffisances de renseignements puissent conduire, théoriquement, à la nullité du contrat médical, par exemple pour erreur sur la personne, voire pour dol, et qu'il y ait une obligation précontractuelle de renseignement). Au Québec et en France se sont développées des solutions sur ce point constituant le fonds commun du droit médical

On persiste à croire que le contrat médical est une création purement française. C'est peut-être celle d'une époque de maturation suffisante de la recherche juridique, permettant la consécration en plusieurs lieux à la fois du même phénomène juridique. Cela survient souvent en recherche biomédicale.

Le jugement Rajotte c. X de 1936 affirme l'existence d'une responsabilité contractuelle, bien que contredite par une autre opinion “qui n'est pas celle de la majorité de la jurisprudence et des auteurs”, et poursuit: “Considérant que dans l'état actuel du droit français, notre droit en la matière, la responsabilité des médecins dérive des mêmes règles générales de droit commun...”, quant aux décisions françaises portées en note, elles affirment que la responsabilité du médecin est engagée dans les termes du droit commun, pour faute.

Ultérieurement, le contrat médical sera confirmé en jurisprudence et en doctrine. En 1979, la Cour d'appel, tout en marchant sur la voie du “cumul” des responsabilités, cite littéralement l'arrêt Mercier, dans l'affaire Hôpital général de la région de l'amiante c. Perron. Le langage de la responsabilité en attestera (obligation de moyens), même appliqué à des responsabilités finalement délictuelles, par suite de l'ancienne “option”, et même si l'on n'arrivera pas toujours bien à distinguer l'obligation contractuelle du fait d'autrui de la responsabilité délictuelle du commettant du fait du préposé, en milieu hospitalier. Cependant, en 1990 le jugement Thomassin c. Hôpital de Chicoutimi déclare le chirurgien contractuellement responsable envers son patient de la faute de ceux qui l'assistent (personnel hospitalier).

La personne se réduit à sa volonté dont le corps n’est qu’un objet. En droit civil, la condition d’Homme libre se profile derrière l’indisponibilité du corps humain, du sujet dans son corps, et qu’il n’y a plus d’Homme libre quand il n’y a plus d’homme. Ces expressions de la liberté individuelle se rencontrent dans l’élargissement des techniques d’expression du consentement ainsi que de celui de l’éventail des actes devenus réguliers, révélatrices d’un principe général d’autodétemination.

En premier lieu, en ce qui concerne l'expression du consentement, en Droit médical français, le phénomène de la judiciarisation de l’assentiment à l’acte médical est pratiquement inconnu. Le juge des enfants, en statuant en matière d’assistance éducative,donne à l’équipe soignante l’autorisation d’agir,dans le cas des représentants d’un enfant incapable refusants de consentir à un traitement salvateur. Son intervention ne se conçoit que si l’obstination des représentants met en péril la santé de l’enfant mais non lorsque ne se pose que la question de choix thérapeutiques non aberrants, puisque le juge français s’interdit de se prononcer sur les querelles purement scientifiques.Le juge québécois est saisi lui aussi dans un contexte conflictuel, comme son homologue américain peut l'être lorsque le refus médical s'oppose au souhait personnel (par exemple, l'affaire Quinlan. de valeur historique exemplaire, pour cela et pour la création des comités d'éthique “cliniques”). Dans l'affaire Maude Goyette c. Centre de services sociaux du Montréal Métropolitain, dans laquelle le tribunal après avoir rendu sa décision d'autorisation de soins le 22décembre 1982, rédigea ultérieurement ses motifs “à la demande des parents”, ces derniers avaient refusé une autorisation nécessaire à une intervention chirurgicale sur leur enfant, et requête fut présentée pour vaincre ce refus. On lira ceci:

Il y a lieu de poser le principe que à défaut d'autorisation parentale ou sur refus d'icelle, la décision doit être une décision judiciaire. Le médecin se mettra ainsi à l'abri de toute plainte ou poursuite de nature tant civile que pénale.

Le jugement américain Quinlan exprimait ce motif rassurant pour le médecin, que l'on relira dans un jugement du 22 janvier 1992 (Cour supérieure), Manoir de la Pointe bleue c. Corbeil:

Toutefois, il reste que la fixation de la frontière des droits et obligations en matière de soins soulève parfois des dilemmes qui, par souci de prudence, forcent les justiciables à un recours à l'arbitrage judiciaire afin d'être soustraits à toute responsabilité criminelle ou civile

L'on ait cru devoir saisir le juge afin de consulter et dire le droit par anticipation pour préciser que, dans tel cas, il n'y aurait pas de responsabilité. En droit français, dans ce dossier, le refus des traitements excessifs aurait été constaté et l'on n'aurait pas passé outre. Là, en effet, l'on prétend diluer les responsabilités, et s'achèvent ces jurisprudences. Le Code civil du Québec prévoit l'intervention judiciaire en cas de refus “injustifié” du représentant de l'incapable ou du majeur “inapte à consentir”, sauf urgence (cette urgence visée par la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation et l'article 16-3 du Code civil Québécois), ou de soins non nécessaires sur un incapable de droit ou de fait, s'ils sont risqués et non “requis par son état de santé” (articles 16 à 18 C.c.Q.). Si les soins ne sont pas médicalement nécessaires et s'ils sont risqués, nul n'y peut consentir, et sur ce point le droit québécois s'éloigne du droit médical français limitant le consentement substitué au domaine de l'intervention ayant une cause thérapeutique. Quant au refus du majeur mentalement inapte, il est vrai que la décision judiciaire présente une véritable nécessité, sauf placement sous un régime de tutelle. Il y a tout de même dans certaines dispositions un encouragement au procès (article 16, alinéa 2 C.c.Q., suite conséquente du déclin de l'autorité parentale: le mineur y gagne la chance de plaider contre ses parents).

Un problème est que la logique de ces éléments d'analyse a été, et risque d'être encore, perturbée par une véritable explosion d’autres concepts qui dirigent la doctrine au Québec malgré la référence au Droit civil français ou à des ouvrages français, comme le concept d'autodétermination. Là, le droit médical québécois plante le pavillon de son autonomie.

 

 

 

II- La Doctrine Du Droit médical

Le droit québécois profite des influences ou les subit de la pensée nord – américaine de l’autodétermination du sujet exaltant le droit supérieur qu’est le droit à l’autodétermination jusqu’à accepter qu’il devienne la principale valeur de l’action sur la personne et absorbe en lui tout l’ordre public?

Autodétermination dans le choix du dessin du corps, de l'image de la personne : c'est la question de la chirurgie esthétique. En droit français, celle-ci n'est licite que si sa cause est thérapeutique, au sens large de l'expression, conformément au droit commun de l'acte médical, s'agirait-il de traiter par le remodelage du corps, et dans le respect de la règle de la raison proportionnée bien entendu, un déséquilibre psychique grave échappant à toute thérapeutique plus bénigne, et le chirurgien a le devoir de se récuser si l'opération demandée n'entre pas dans ce cadre d'ordre public, quels que soient les consentements et sollicitations éclairés du client. Si le consentement du sujet est en règle générale indispensable à l'intervention, en revanche il ne la justifie pas lorsque, par son objet ou par sa cause, elle est contraire à l'ordre public. Ainsi en est-il jugé depuis 1937 (affaire des stérilisés de Bordeaux); est contraire à l'ordre public, sauf exception prévue par la loi, l'acte médical inutile, consenti par complaisance pour le caprice du sujet, ce dernier ne possédant sur son corps aucun droit équivalent à celui de propriété. Les nouveaux articles 16-1 et 16-3 du Code civil, contenant des principes déclarés fondamentaux par le Conseil constitutionnel, le confirment. L'adoption de principes plus laxistes conduirait à permettre à l'individu de céder à titre gratuit ou onéreux -- peu importe -- tout ou partie de son corps, ce qui est illicite en soi. Y sont intéressés à la fois la protection de la personne en son intégrité et sa dignité, et l'ordre public, la paix de l'Etat imposant que chacun des citoyens profite d'une aussi forte garantie. Un arrêt récent résume ces principes, en chirurgie esthétique:

En matière de chirurgie esthétique, l'atteinte à l'intégrité physique du patient ne peut se justifier que si elle respecte l'existence d'un certain équilibre entre le mal causé par l'intervention et le profit espéré, de sorte que le médecin ne doit pas mettre en oeuvre une thérapeutique dont les inconvénients risqueraient de surpasser la disgrâce qu'il prétend traiter ou dont la gravité serait hors de proportion avec l'embellissement espéré.

L'autonomie du sujet, envisagée sous l'angle de la licéité des interventions pratiquées, s'achève dans le pouvoir de refuser des soins, ou de solliciter une aide au trépas. De prima facie, le droit québécois rejoint le droit français.

Le droit québécois raisonne à partir du principe de liberté décisionnelle, de demande du sujet éclairé, et écarte, sauf réserves, ce qui met obstacle à la satisfaction de cette sollicitation. Le droit français raisonne à partir du principe d'inviolabilité, c'est-à-dire de défense contre les initiatives d'autrui (du médecin en particulier), la demande, l'initiative du sujet demeurant enfermée dans le cadre d'un ordre public de protection.

Celui-ci est plus souple outre Atlantique, dans l'idée que, si la personne a décidé, cela est conforme à son intérêt, qui ne concerne qu'elle. Idée qui a fait fiasco en droit des contrats ; d'où l'apparition du droit de la consommation. Mais, dûment informé, le patient nord-américain peut consommer librement! Les présupposés de la réflexion juridique sont opposés et, donc, les raisonnements ne suivent plus les mêmes logiques. Les causes n'en sont pas de pure technique civiliste.

Ce qui frappait récemment encore l'esprit du lecteur continental était le “cumul” des responsabilités contractuelle et délictuelle. On n'entendra pas ici la conjugaison des responsabilités entre praticiens et hôpital du fait de la défaillance des soins postopératoires. C'est un domaine d'éloignement des solutions québécoises respectives: les activités normales du chirurgien dans un hôpital organisé se terminent lorsque l'hôpital prend en charge le malade pour les soins postopératoires... lorsque se termine l'opération et que le chirurgien a raison de croire que le malade n'a plus besoin de ses services de chirurgien, il peut quitter en laissant le malade aux soins du service concerné.

Rien n'écarte ici les responsabilités in solidum de ce chirurgien, de l'anesthésiste et de la clinique, mais la jurisprudence écarte une vision balkanisée de l'intervention chirurgicale et de son suivi. L'on pourrait aussi avancer sur la piste de l'obligation in solidum de tous les membres de l'équipe médicale, puisque, sauf erreur de compréhension de notre part, cette obligation fait encore l'objet de réserves en droit civil québécois, “théorie étrangère au droit québécois”

. Encore pourrait-on solliciter l'article 1525 alinéas 2 et 3 du Code civil du Québec pour imposer ladite obligation aux praticiens de l'hôpital et à celui-ci au nom de “l'exploitation de l'entreprise”caractérisée par “la prestation de services” (médicaux) au profit de l'établissement.

Ce qui est plus important - ou l'était encore récemment - est l'option ouverte entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, lorsque cependant les parties sont liées par le contrat méd, et ce dès les origines de la responsabilité médicale québécoise. Dans le jugement Bordier de 1934, où est reconnu le principe du contrat médical, ainsi qu'il sera redit, il est affirmé qu'outre la responsabilité contractuelle, la responsabilité de l'article 1053 du Code civil du Bas Canada “reste toujours applicable”, le jugement Rajotte de 1936 ajoutant qu'en toute hypothèse “les règles de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle sont identiques, de sorte que la distinction n'apparaît que de pure forme quant à déterminer la responsabilité”

En deuxième lieu, et toujours en droit de la responsabilité médicale, nous voyons la jurisprudence canadienne écarter la théorie de la perte de chances, sur laquelle il est dit qu'elle constitue “une construction bien étrange, voire surprenante, pour un juriste québécois”, ou encore: “A distance, votre droit nous semble parfois fort imaginatif et déterminé à dégager à tout prix une responsabilité, d'où le développement, notamment, de la théorie des pertes de chance”, ce qui constitue une pertinente observation. La perte de chances, après avoir servi à éluder l'analyse rigoureuse de la causalité, sert à qualifier un préjudice dit “intermédiaire” dont on voit bien le caractère artificiel, ne serait-ce qu'à travers la réparation de ses aggravations successives menant à une confusion avec le dommage final. Ce n'est que formellement que la Cour de cassation, le 17 novembre 1982, a cantonné la perte de chances sur le terrain du préjudice, car, pour en affirmer la réalité, l'on est bien obligé de se poser la question de la causalité, mais par une reconstruction imaginaire d'une évolution médicale dont nul ne possède, ni ne possèdera jamais, tous les éléments. Nous ajouterons seulement que l'abandon de la perte de chances, et de quelques excès marginaux ou bien considérables dans l'indemnisation du dommage médical permettrait peut-être de recentrer celle-ci et de dégager des solutions de couverture de l'aléa thérapeutique faisant l'heureuse économie d'une loi, sans doute demandée mais dont le projet n'est point encore déposé.

M. le juge Vallerand, après avoir fait allusion à “quelques arrêts pour le moins équivoques, voire contradictoires, de la Cour de cassation”, et accepté l'utilité de leur prise en considération, affirme qu'ils ne peuvent engager le droit civil du Québec, et c'est aux principes de celui-ci en matière de jugement de la causalité qu'il se réfère, la question étant de savoir s'il faut les introduire dans ce droit, qui n'est pas le droit continental. La proposition est nuancée; le droit français n'est pas a priori rejeté; il n'est pas non plus intégré impérativement, comme ratione auctoritatis. (affaire Lawson c. Laferrière).

Seulement, en fin de compte, la victime est indemnisée, parce que victime d'une faute médicale cause d'un préjudice: “elle a subi l'horrible progression de sa maladie et la régularité et l'inefficacité apparente des traitements et des médicaments tout en sachant que les choses auraient pu être différentes si elle avait su et si elle avait été traitée plus tôt”. Et il est remarquable de lire que la patiente a été privée de l'avantage d'un traitement précoce, de l'occasion de prendre de meilleurs avis médicaux, ce qui est qualifié de dommage psychologique et de perte d'une meilleure qualité de vie. Alors? Dans la rigueur des principes, sainement étudiés et affirmés, le préjudice dit “perte de chances” est évacué, à bon droit; dans le regard posé sur les éléments constitutifs du préjudice réel causé au patient, du préjudice déjà survenu, concrètement enfin et non abstraitement, subsiste une part de chances perdues. N'est-ce pas plus par la méthode que par le résultat que cet arrêt s'oppose à ceux de la Cour de cassation?

Et puis, au Québec comme en France, n'a-t-on pas inventé une technique, non moins artificielle, palliant l'impossibilité de plaider tel ou tel engagement de la responsabilité médicale (ici, la perte de chances)? Il s'agit de l'élargissement de l'obligation d'information du client par le médecin. La violation de ce devoir - dont le principe n'est point à contester - est estimée avoir privé le sujet d'un choix en faveur d'une thérapeutique (ainsi s'achève l'arrêt Lawson c. Laferrière) ou dans le sens du refus d'une intervention présentant des risques: si la personne avait été pleinement informée de ceux-ci, elle n'aurait point subi l'intervention finalement dommageable malgré l'absence de faute technique. Ainsi s'indemnise l'aléa thérapeutique en l'absence de loi ad hoc, mais sans que cela soit clairement écrit, ce qui perturbe les analyses pré-législatives en ce domaine.

la “doctrine” canadienne s’éloigne du droit français substantiellement, et ceci n'est en partie que la conséquence d'un éloignement formel dans la sélection des références.

Le jugement québécois de responsabilité médicale (et les autres, car il n'y a point en cette discipline de particularisme) surprend agréablement le lecteur continental feuilletant pour la première fois cette jurisprudence, et y découvrant presque l'équivalent de chroniques au Dalloz, à la Semaine juridique, etc, qui sont, chez lui, des oeuvres de doctrine même lorsqu'elles sont signées par d'éminents magistrats. Le style doctrinal, sinon dogmatique, du jugement québécois, dans lequel le sentiment du magistrat s'exprime en marge de sa raison, n'est pas celui du jugement français de droit civil, ni d'ailleurs de droit administratif, où règne l'imperatoria brevitas. Ce qui est question de présentation, rédactionnelle, n'est pas secondaire; une vision du droit civil s'y traduit, s'y trahit. Qui parle de doctrine pense, en droit savant, à un support scientifique, à la référence à des sources, aux travaux des maîtres. Ce qui ne se rencontre presque jamais en jurisprudence française est, au contraire, quotidien en droit québécois: les décisions sont riches en citations des auteurs, et des arrêts antérieurs. Y découvre-t-on des signes de la réception du droit français par les honorables juges canadiens?

Presque vainement cherche-t-on dans les arrêts français des références expresses à la doctrine. En tout cas, jamais la Cour de cassation ni le Conseil d'Etat n'intègrent dans leurs arrêts la moindre référence ou citation. Ce n'est pas dire que les juges français ne consultent ni les précédents ni les traités, dont références, extraits, copies, leur sont soumis dans les conclusions, les cotes de plaidoiries, parfois en abondance, et qu'ils peuvent de leur propre chef découvrir tant qu'ils ne mettent pas dans le jugement un moyen de droit non contradictoirement discuté (article 16 N.C.P.C.), mais ils ne sentent pas l'utilité de révéler leurs sources. Si l'on veut découvrir celles-ci, ce sont les rapports et conclusions qu'il faut lire, lorsqu'ils sont publiés en complément de l'arrêt, ou communiqués (le plus souvent sous le sceau de la confidence); mais ce sont principalement les arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat qui bénéficient de ces précieux éclairages, points de repère non exhaustifs du cheminement de la pensée judiciaire. Ou bien encore, il faut confronter les motifs des arrêts aux mouvements récents de la doctrine pour deviner les influences;

Certains avouent que, en matière de responsabilité, des magistrats ne lisent pas les auteurs québécois, qui se sont inspirés des auteurs français, “lesquels sont plus clairs, plus précis”.

L'affaire Lawson c. Laferrière est une occasion parmi d'autres de nommer des auteurs français (et belges), voire de recopier des passages importants de leurs travaux, mais pour réfuter, à l'aide de cette doctrine largement hostile à la jurisprudence de la Cour de cassation, la position de celle-ci, censée dire le droit alors que la doctrine n'est censée que l'apprécier. “J'emploie, écrit un juge, principalement les sources doctrinales. Parfois, il m'est arrivé d'examiner la jurisprudence de la Cour de cassation”. Mais, il ajoute: “Dans la majorité des affaires que nous entendons, l'étude doctrinale ou jurisprudentielle s'arrête à l'examen du droit québécois”.

L'arrêt de 1985 Lapierre permet à la Cour suprême de citer Aboaf, Mazeaud et Tunc, Ripert, Rodière, Savatier, Pallard, et bien d'autres sources encore. P.G. Jobin a, pour sa part, procédé à une plus large analyse des références aux sources françaises sur une longue période, et sans se limiter au droit médical, en constatant l'éclectisme des citations, non limitées au droit français, et la compréhension de ce dernier “comme source de droit comparé”, donc comme sorti du droit québécois et n'en faisant plus partie intégrante, n'y possédant plus une autorité de droit, ratione auctoritatis. Voici d'importantes réserves, quantitatives et qualitatives, s'ajoutant à celle déjà proposée: si l'on cite la doctrine française, ce n'est pas nécessairement pour adopter les solutions du droit français positif! Il est tout de même significatif qu'un juge nous dise qu'en première instance, en responsabilité médicale, la référence au droit médical français est exceptionnelle.

De nombreux jugements québécois citent la jurisprudence française, sans forcément en adopter les principes. Le paradigme est celui des décisions rendues dans l'affaire Lawson c. Laferrière. Mais il y a de multiples références aux arrêts de common law, soit parallèlement, soit à la place de, celles aux arrêts français, quitte à s'interroger sur la pertinence de ces appels aux jugements hors droit civil.

L'arrêt Daigle - de la Cour suprême mais montant du Québec - avait montré cette impasse sur les jurisprudences françaises qui, en cette affaire, auraient été éclairantes. Se référant, au demeurant, à des doctrines civilistes, le jugement Maude Goyette de 1983, vise l'arrêt Quinlan, du New-Jersey; le jugement Institut Philippe Pinel c. Dion, mentionne des arrêts de common law, dont l'arrêt Saikewicz du Massachussetts, et applique la doctrine de la parens patriae d'origine britannique.

Les juges québécois ne sont tenus d'aucune obligation de citer les auteurs ni les arrêts français. Quant aux divergences d'appréciation de certaines questions de fond - qui se rencontrent de temps à autre à l'intérieur du système de droit civil, même entre plusieurs chambres de la Cour de cassation - elles ne suffisent pas à sortir le droit local de la famille civiliste, tant du moins qu'elles ne s'appuient pas, plus ou moins explicitement, sur la common law.

D'autres impressions, en revanche, vont dans le sens d'une étroite parenté entre les deux droits. Aux oppositions de jurisprudence répondent des principes communs, choisis évidemment en droit médical, et parmi les plus solides de cette discipline. Aux tendances à lire les règles de common law, ne serait-ce que parce que matériellement plus accessibles, dit-on, répliquent des renvois au droit français, et, cette fois-ci, non pour entrer en rébellion ouverte (perte de chances), mais par volonté de remonter aux sources.

Conclusion

 

Si nous voulons étudier le cas du Droit médical, une autonomie apparaît en ce qui concerne les solutions opposées au droit civil français. Par contre, la doctrine et les décisions judiciaires resteront référenciés par la doctrine française.Une certaine collaboration apparaît aussi lorsque l’on examine en France le développement d’institutions réglementant en posant des normes pour la pratique médicale, ce qui serait une influence inverse du régime québécois sur le régime français.

La culture sociale et juridique de la société nord-américaine va orienter les solutions des juridictions québécoises même si celles-ci seraient influencées par sa cousine d’outre-mer, à savoir la tradition juridique française.

D’ailleurs, ceci résulte du but objectif du Droit, celui de l’ « Organisation de la norme sociale. »